Une fois établis, dans le livre I, sur des fondements philosophiques, les principes du droit politique, et instauré l'ordre civil par le corps politique de l'État, le livre II en tire les conséquences, afin de définir les prérogatives et les limites de cette entité souveraine, pourvue de la volonté générale : l'État républicain. Le chapitre VI traite de la prérogative la plus ordinaire de l'État : faire régner la justice par la loi.
Extrait :
Par le pacte social nous avons donné l’existence et la vie au corps politique : il s’agit maintenant de lui donner le mouvement et la volonté par la législation. Car l’acte primitif par lequel ce corps se forme et s’unit ne détermine rien encore de ce qu’il doit faire pour se conserver.
Ce qui est bien et conforme à l’ordre est tel par la nature des choses et indépendamment des conventions humaines. Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source ; mais si nous savions la recevoir de si haut, nous n'aurions besoin ni de gouvernement ni de loi. Sans doute il est une justice universelle émanée de la raison seule ; mais cette justice pour être admise entre nous doit être réciproque. A considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle les lois de la justice sont vaines parmi les hommes ; elles ne font que le bien du méchant et le mal du juste, quand celui-ci les observe avec tout le monde sans que personne les observe avec lui. Il faut donc des conventions et des lois pour unir les droits aux devoirs et ramener la justice à son objet. Dans l’état de nature, où tout est commun, je ne dois rien à ceux à qui je n’ai rien promis, je ne reconnais pour être à autrui que ce qui m’est inutile. Il n’en est pas ainsi dans l’état civil où tous les droits sont fixés par la loi.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat Social (1762), Livre II, chapitre VI, Classiques Garnier, 1989, p. 273-274.
Questions :
1. "Par le pacte social nous avons donné l’existence et la vie au corps politique : il s’agit maintenant de lui donner le mouvement et la volonté par la législation. Car l’acte primitif par lequel ce corps se forme et s’unit ne détermine rien encore de ce qu’il doit faire pour se conserver."
a) Quel était le fondement de légitimité de la toute première convention, celle du contrat social (ou pacte social) fondateur de l'État ?
b) Quelles exigences devait-il concilier ?
c) Une fois cette première convention établie, et avec elle l'existence et la vie du corps politique de l'État, quelles autres conventions celui-ci doit-il produire ?
d) Selon quel critère général ces conventions doivent-elle être établies pour que ce corps social puisse se conserver ?
2. Sur les sources de justice qui seraient transcendantes à l'humanité :
a) "Ce qui est bien et conforme à l’ordre est tel par la nature des choses et indépendamment des conventions humaines. Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source" : si la justice est l'idée, la vertu ou l'institution qui doit rendre à chacun le bien qui est le sien, est-il nécessaire qu'une justice divine existe ou soit active au niveau de l'ordre de la nature des choses ?
b) Et si cette justice divine devait intervenir dans un autre domaine que celui de la nature des choses, pour quelle raison affirmer que toute justice vient de Dieu, alors que l'injustice peut paraître triompher bien au contraire ?
c) "Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source ; mais si nous savions la recevoir de si haut, nous n'aurions besoin ni de gouvernement ni de loi."
d) Dans le cas de régimes théocratiques qui se réclameraient, pour faire des lois et pour gouverner, d'une religion d'inspiration divine, les êtres humains qui font ces lois et ce gouvernement pourraient-ils prétendre être eux-mêmes infailliblement et directement inspirés de Dieu quand ils assureraient l'ordinaire de la justice, au quotidien ?
e) "Sans doute il est une justice universelle émanée de la raison seule ; mais cette justice pour être admise entre nous doit être réciproque. À considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle les lois de la justice sont vaines parmi les hommes ; elles ne font que le bien du méchant et le mal du juste, quand celui-ci les observe avec tout le monde sans que personne les observe avec lui."
3. Sur la justice et les lois simplement humaines :
a) "Il faut donc des conventions et des lois pour unir les droits aux devoirs et ramener la justice à son objet."
b) "Dans l’état de nature, où tout est commun, je ne dois rien à ceux à qui je n’ai rien promis, je ne reconnais pour être à autrui que ce qui m’est inutile." Pourquoi, du fait de sa conception de l'état de nature, Rousseau doit-il exclure la possibilité de principes de justice naturels, antérieurs et extérieurs aux lois juridiques, et qui seraient à l'œuvre dès l'état de nature, comme la vengeance, le partage spontané des biens ou l'accomplissement des promesses ?
c) "Il n’en est pas ainsi dans l’état civil où tous les droits sont fixés par la loi." Pourquoi enfin des principes de justice naturelles ne sauraient-ils avoir la moindre place, une fois les êtres humains entrés dans l'état civil, si l'on veut que les droits fixés par la loi ne soient pas contredits ou bafoués par une telle justice extra-juridique ?
Sujet de réflexion :
Faut-il définir la justice par le droit et par la loi ?
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